“Un regard (in)discret”
150 mc - 2013
“La femme (du dimanche) s’est enfuie avec le cheval de Nietzsche.”
Ce qui relie les Places d’Italie de De Chirico à Fruttero & Lucentini dans cet appartement conçu par A. Marcante et A. Testa d’UDA architectes donnant sur la place San Carlo à travers les oculi obliques du plan mezzanine d’un immeuble de la rue Roma à Piacenza à Turin ?
Ils partagent certainement une sorte d'”obscénité”, c’est-à-dire révéler/cacher le substrat de la réalité parsemée d’indices comme une trame d’un récit policier : une commixture d’élevé et de bas, de drame et de grotesque, de banal et de sophistiqué, d’inquiétant et de rassurant, qui parfois s’effondre et précipite comme une solution chimique nous révélant le subtil jeu des résonances.
Nous, en raison de caractéristiques physiologiques, ne pouvons pas voir simultanément devant nous et ce qui est derrière nous. Les limites du champ visuel nous unissent à tous les êtres vivants, mais à la différence des autres, l’homme en est le seul conscient.
Peut-être que c’est de là, à un niveau profond, inconscient, que provient aussi l’inquiétude, le doute, l’interrogation sur la consistance et même l’existence de la réalité visible.
Un peu de force, il semble que tout questionnement de l’homme sur l’objectivité du monde puisse simplement être ramené au manque d’un “troisième œil”, situé à l’arrière de la tête, qui nous permettrait d’avoir une perception complète. D’où l’inquiétude de la vision et des lieux perçus à travers elle.
C’est certainement une provocation que ce qui précède, mais si l’on pense à la manière dont une “vision autre” a été élaborée par le cinéma par exemple (les yeux du meurtrier qui voient la scène du crime, le regard d’un autre sujet qui se place entre nous et le protagoniste de l’histoire, le mirage de réalités multiples contemporaines, etc.), alors la question sort de la sphère des suggestions les plus intellectuelles et devient le pain quotidien de notre vie dans la réalité, en particulier dans les espaces construits par l’homme.
Un appartement réalisé au rez-de-chaussée d’un immeuble donnant sur la place emblématique de Turin, la place San Carlo voulue par les ducs de Savoie et en particulier par Maria Cristina de France qui a gouverné en régence en tant que “Madama Reale” dans la première moitié du XVIIe siècle, devient, à travers ses espaces et ses meubles disposés en eux, le théâtre actualisé de notre temps d’une représentation d’une certaine idée de la maison bourgeoise, de la maison de la classe moyenne professionnelle turinoise, faite de précision ingénieuse et de subtils troubles.
Le plan caractérisé par une progression en entonnoir de l’arrière jusqu’au salon donnant sur la place, les fenêtres ouvertes sur la même, caractérisées par la forme et la taille des “oculi” sur les façades des immeubles qui en définissent le périmètre, la nécessité d’organiser les espaces de relation des zones de jour comme des zones et des environnements plus ou moins exposés à la vue de l’extérieur deviennent les points de départ pour la construction d’un lieu domestique au goût vaguement métaphysique.
Une métaphysique dechirichienne, si l’on adopte sa définition de ce terme selon laquelle : “la métaphysique est cette nouvelle vérité qui se cache dans chaque objet si l’on parvient seulement à le voir ou à l’imaginer en dehors de son contexte habituel”, ce qui vaut également pour les meubles et les ameublements selon l’artiste qui disait d’ailleurs : “Il a déjà été observé plus d’une fois le côté curieux qu’acquièrent les lits, armoires, miroirs, canapés, tables, lorsqu’on les trouve soudainement devant nous dans la rue, dans un scénario où nous ne sommes pas habitués à les voir. Tous ces meubles nous apparaissent sous une nouvelle lumière, rassemblés dans une étrange solitude : une intimité profonde naît entre eux.”
Ainsi, la maison devient l’invention d’un lieu selon des règles précises, comme dans un roman, où les lieux inventés en lui sont implicitement plus “vrais” et “réels” que les lieux existants dans le monde réel, tout comme les nombreux lieux mythiques et symboliques créés par l’homme. En effet, alors que la réalité que nous percevons comme objective peut toujours être interprétée différemment par chacun de nous, il est nécessaire que nous tous accordions à des descriptions littéraires un statut d’immuabilité et de certitude, sinon le récit lui-même devient impossible.
C’est aussi le cas de l’appartement en question. Ici, tous les éléments : la configuration des surfaces, les meubles fixes, les petits objets et les objets dispersés dans les espaces, racontent quelque chose qui va au-delà de la première apparence, qui s’insinue entre les plis de la vie quotidienne.
Les meubles, conçus comme des constructions isolées qui peuplent un paysage intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur, créent l’étonnement non pas parce qu’ils appartiennent aux catégories de l’insolite et de l’absurde, mais en raison de leur air immédiatement familier et en même temps mystérieux. Une fusion entre la trouvaille et le jamais vu, entre le connu et l’inconnu dans un équilibre délicat entre ce que nous savons déjà et attendons d’un espace et le sentiment de désorientation que l’on ressent face à quelque chose de nouveau.
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Mobilier:
Salon:
Canapé D70 conçu par Osvaldo Borsani et produit par Tecno, fauteuil P40 conçu par Osvaldo Borsani pour Tecno (pièce unique en cuir d’autruche), tables basses T1 et T2 conçues par Osvaldo Borsani pour Tecno, tapis berbère (de Battilossi.it), lampe de sol avec tige en bois “TMM” conçue par Miguel Milá et produite par Santa & Cole, bougeoirs de sol en fer “Luminotti” conçus par Toni Cordero (prototypes de production Salvati), lampe de sol en fer et bois coloré conçue par Mario Pandiani (studio6m.com), éclairage LED de la série “Nuit” produit par Kreon encastré dans le plafond, sculpture d’une femme assise de Piero Gallina (galerie Marco Cappello)
Salle à manger :
Table “Asnago & Vender” produite par Pallucco, chaises “Zig-Zag” de G. Rietveld pour Cassina, lustre “14.14” de Bocci, tortue en céramique de Diego Dutto (pièce unique – galerie Marco Cappello)
Cuisine:
Bloc en acier de Boffi, meubles hauts et meuble sur mesure par Marcante-Testa (UdA architetti), lumières encastrées dans le plafond “Nuit” de Kreon, spots Viabizzuno “Obbiettivo”, lampe “Maestrale” de Denis Santachiara
Chambre principale:
Chaise “Reggenza” conçue par Toni Cordero (hors production), tables de chevet “Vision NexT” produites par Pastoe, lampe de table conçue par Toni Cordero (prototype de production Salvati)
Chambre de la fille:
Table, lit et bibliothèque sur mesure par Marcante-Testa (UdA architetti), suspensions “Flowerpot” blanc et jaune conçues par Verner Panton, couvre-lit vintage (galerie Spazio Bloom), lampe de table modèle n. 205 produite par La Lampe Gras.
Chambre du fils:
Table, lit et armoires sur mesure par Marcante-Testa (UdA architetti), siège Modus produit par Tecno, lampes de table et lampes murales La Lampe Gras, suspensions noires “Flowerpot” conçues par Verner Panton, bibliothèque en tôle perforée “Dedal” conçue par Mategot produite par Gubi, couvre-lit vintage (Spazio Bloom)
Salles de bains:
Tous les meubles ont été conçus par Marcante-Testa
Fournisseurs des ouvres sur mesure
Mobilier: MATERIADESIGN
Parties en verre: Cristalking
Marmi: Catella Marmi, Marmorstone
Parquet: Ristructura
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Projet: Andrea Marcante, Adelaide Testa
Collaborateurs: Giada Mazzero
Photographe: Carola Ripamonti
—(testo di Valter Camagna)